Quand on travaille chez soi et qu'on a la chance de ne pas avoir de RDV prévu, il faut parfois se faire violence pour aller déjeuner en solitaire. Ayant eu ma dose de vélo ce matin, j'ai opté pour le restaurant pseudo occidental au pied de l'immeuble.
Pour être solitaire, ce déjeuner s'annonce solitaire. Pas un client et seulement 3 serveuses dans un silence qui s'étend jusqu'à l'étage. Après une longue hésitation, j'avise un moelleux canapé de velours rouge dans lequel je projette de me noyer avec délice. Sitôt pensé, sitôt fait. La table de marbre plastique m'arrive au menton.
Le menu propose des plats désormais communs dans le Pékin des années 2010 : pâtes de toutes formes à toutes les sauces, des pizzas, des sandwiches baguette, des burgers, des salades, divers tapas et des tentatives de fusion. J'opte justement pour une côte de porc panée sauce aigre-douce avec du riz gluant et une soupe miso. Le verre d'eau chaude est servi simultanément à la prise de commande. Comme quoi deux serveuses ne sont pas de trop. La tête qui peine à dépasser derrière l'immense comptoir me signifie d'un regard qu'elle est prête à se rendre utile. A moins que je ne surestime mon charme face au bonimenteur du téléachat sur la télévision qui est précisément dans son axe de vision. Bien qu'il ne s'agisse en rien d'un fast food, il est précisé que toute commande peut être annulée si elle n'a pas été servie dans les 8 minutes. Confiant, je me plonge dans mon roman bercé par Moonlight shadow de Mike Olfield et d'autres tubes occidentaux des années 80.
Quelques minutes passent. Force est de constater que l'attrait de la kitchissime montre dorée dont les atouts sont vantés depuis mon arrivée dans le restaurant ne se dément pas. Pire, il s'est même étendu à l'ensemble des serveuses. Intrigué j'abandonne mon livre et tente de comprendre les arguments du télévendeur. L'objet est présenté sous toutes les coutures et dans toutes les situations. Différents certificats administratifs apparaissent à l'écran. L'attention du télésceptique est attirée à plusieurs reprises sur les points importants grâce à un zoom saisissant digne des annales du téléachat. Sur ce point je dois reconnaitre que le réalisateur de Guangdong TV doit avoir un sacré sens de l'humour. Bref, je serais à deux doigts de sortir mon chéquier si j'en avais un. J'attends avec impatience de connaitre le prix de cette incroyable affaire qui m'est vantée depuis au moins 15 minutes.
Intermède
Cher lecteur, afin que tu prennes bien la mesure du suspense intense. Je te propose de te recueillir sur la photo suivante qui représente approximativement l'affaire que je vais faire dans quelques instants.
Roulement de tambours. Nous arrivons au terme d'une attente insoutenable, la tension est à son comble. Le public en délire silencieux ne peut plus contenir son émotion. Dans quelques instants le prix va s'afficher. Encore quelques instants et oui, l'incroyable montre plaquée en or pur 24 carats et des bananes est annoncée au prix extraordinaire de... 29€. Oui, 29€, c'est le coût de la montre certifiée à la télé pendant 20 minutes. Alors, on imagine le prix des pâles copies sur les marchés alternatifs.
A ce prix là, ce n'est plus une affaire. Il vaut encore mieux acheter un napoléon. Je quitte, décu, le restaurant après avoir réglé mon repas à 5 €