Chapitre 10 : L'éducation anglaise

Le reporter en herbe fait une longue digression par la courtoisie chinoise et la révolution culturelle pour finalement nous dire qu'il va encore avoir du mal à se connecter à Internet.
Après de nombreuses péripéties variées et diverses, notre héros, arrivé à Pékin par une journée chaude, commence à se les peler grave. Pas de bol, il a été privé d'internet. Finalement, ça va mieux on lui a remis internet à un prix défiant toute concurrence inexistante. Y'a pas à dire, La Vie à Pékin est Belle (et c'est tant mieux).

Je m'en étais rendu compte dès les premiers jours de mon arrivée, et le sentiment n'avait fait que se renforcer au fil des semaines. Les Chinois n'avaient visiblement pas été élévés par Monsieur De Foursaings.

Il ne s'agissait pas de baise-main où les lèvres traversent le no man's land qui les séparent traditionnellement de la main. Il se s'agit pas de longues réflexions sur les priorités d'entrée dans les restaurants. Il ne s'agissait même pas de réponse spécifique en cas d'éternuement.

Non, la première mauvaise habitude que l'on remarque en arrivant à Pékin, est, outre le peu de distinction dans la façon de cracher un peu partout (par terre dans les restaurants, en ouvrant la portière ou par la fenêtre dans les voitures...), l'oubli récurrent de tenir la porte pour le suivant. En effet, il est plutôt d'usage de s'arranger pour qu'elle se referme exactement sur sa gueule. En fait, ça serait le cas qu'on ne pourrait douter que chacun remarque la présence d'autrui. Ce qui n'est pas évident dans ce monde où l'image de la cage de verre est particulièrement adapté. Toujours à propos de porte, il m'est arrivé de tenir la porte pour le suivant, et le suivant le suivant, et le suivant suivant le suivant, et ainsi de suite, sans doute, jusqu'à la fin du service de la cantine si j'avais attendu le premier remerciement.

La deuxième fois que le voyageur habité par ses bonnes manières (selon la version occidentale) est surpris, il est en train de faire la queue, à un guichet de la poste ou de la banque, à une caisse quelconque. C'est particulièrement manifeste à la banque, il n'est en effet pas d'usage, dans nos contrées, de se coller au client qui précède même si on a l'intention d'entr'apercevoir la somme qu'il a retiré. Ici, les files d'attente qui se forment parfois n'ont qu'un caractère indicatif. Si pendant une fraction de seconde, un espace suffisant se crée entre deux clients, un tiers s'insérera sans peine et le plus naturellement du monde. Vous aurez compris que toute la subtilité réside dans le caractère « suffisant » d'un espace.

Ce manque de courtoisie, tout au moins en prenant les critères européens comme référence, est probablement animé par un individualisme historiquement très fort. La révolution culturelle a accentué ce phénomène pour d'autres raisons. Il n'était pas révolutionnaire de dire « Bonjour » ou de s'excuser (ni de reconnaître ses erreurs). Les camarades sont égaux entre eux , c'est donc faire offense que de tenir une porte par exemple. Et comme les mauvaises habitudes se prennent vite... Apparemment, de l'avis d'indigènes proches, la situation se modifie lentement, sous l'influence des étrangers. On s'aperçoit comment un respect de l'inconnu peut être agréable (surtout si on est l'inconnu en question).

Tout ça pour revenir - comme toujours - à l'Internet. Depuis quelques jours, je me connectais via un téléphone gardé par un cerbère de l'université. C'est pas qu'elle soit particulièrement féroce, mais l'amabilité n'est pas un fort de cette fu wu yuan. Son incompréhension des systèmes informatiques doit en partie l'expliquer. Bref, je paye 0,5 yuans par tranche de 3 minutes. Il va sans dire que la machine qui contrôle le temps écoulé est l'œil infaillible de cette fonctionnaire. Il m'arrive donc parfois d'avoir à expliquer que la ligne était occupée pendant 5 minutes et que je ne veux donc payer que les 3 autres minutes. Il m'arrive parfois de payer plus que la somme qu'elle me demande car je me suis connecté deux ou trois fois en deux minutes. Ce dernier cas de figure surtout pour montrer mon honnêteté , sans attendre (heureusement) de remerciement.

Et puis, un jour, je tente de me connecter pendant 15 minutes sans succès. C'est alors que la machine s'enraye et me réclame une somme pour les 15 minutes écoulées. Autant dire que (après avoir été certain qu'elle comprenait bien la situation) j'étais dans une rage folle, mais interne. Avec un minimum d'éducation l'affaire aurait été réglé en 30 secondes, elle n'aurait même pas dû avoir lieu, mais lorsque l'individualisme reprend le dessus, forcément ça dégénère.

Nous avons fini par conclure (après 5 jours et grâce à l'action de 2 médiateurs) que je me connectais 1 seule fois par semaine.